Bonjour, je suis Antoine Mortemard de l’agence Bigoni Mortemard, qui a réalisé la réhabilitation que je vais vous présenter, ainsi que, il y a une douzaine d’années, celle du Pavillon Carré de Baudouin. C’était notre premier projet important de réhabilitation pour la Ville de Paris et je pense que c’est en grande partie grâce à cette opération, qui s’est très bien déroulée, que nous avons pu être retenus pour opérer la réhabilitation de ce deuxième bâtiment pour la ville.
Nous allons quitter l’échelle des grands territoires, pour aller vers l’échelle plus modeste du bâtiment. Je vais donc vous présenter cette opération, qui a été livrée en 2015 et qui s’appelle aujourd’hui la médiathèque Françoise Sagan, dans le 10e arrondissement. Il s’agit de la réhabilitation d’un bâtiment très méconnu des parisiens, l’ancienne prison de Saint-Lazare, dont il ne reste aujourd’hui que l’infirmerie et la chapelle. Les deux premières cours de la prison ont été démolies au début du XXème siècle. L’infirmerie, qui est l’objet du projet, a été construite au milieu du XIXème siècle.
Pour vous parler des conditions de réalisation d’une opération, ce qui est notre sujet cet après-midi, et des acteurs qui sont mobilisés pour ce type de réalisation, je vais tout d’abord vous montrer quelques images du bâtiment.
Nous sommes ici dans la cour de la médiathèque, dont nous avons, en tant qu’architecte et paysagiste, assuré le projet de réhabilitation et dessiné le jardin. Il faut noter que l’ancienne infirmerie de la prison et sa cour sont inscrits à l’inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
Voici quelques images du jardin que nous avons dessiné et des façades. Une des interventions majeures que nous avons effectuées sur l’enveloppe du bâtiment, c’est de supprimer les menuiseries existantes pour créer un mur rideau à l’arrière de la façade en pierre, et d’intercaler entre les deux des protections solaires sous la forme de rideaux. Cette transformation visait à renforcer le caractère « à l’italienne » du bâtiment.
Nous avons pu réaliser cette transformation « très musclée » parce qu’il ne restait pas grand-chose du bâtiment d’origine à part les façades et deux très beaux escaliers. Tout le reste avait été très largement modifié lors de changements d’affectation du bâtiment qui, entre autres, a accueilli un hôpital dans les années 60, jusque dans les années 90.
Voici quelques images du jardin qui datent de cette année. La végétation a bien poussé depuis trois ans. Nous voulions donner cet aspect exotique, très méditerranéen, un peu luxuriant, associé à un dessin contemporain des allées.
Voilà l’effet intérieur de la façade rideau, on aperçoit les arcades de la façade d’origine. Cette façade neuve nous a permis, notamment, de régler les questions d’isolation, puisque nous avons supprimé les ponts thermiques, la façade rideau couvrant l’ensemble de la hauteur de la construction.
Les planchers n’étaient pas d’origine. Ils dataient des années 30 et étaient en très mauvais état. Ils ne pouvaient assurer qu’une surcharge de 150 kg par m2, alors que pour une médiathèque elle est très nettement supérieure, au minimum de 600Kg par m2. Il était donc impossible de les conserver. Voilà un des sujets relatifs au mauvais entretien du bâtiment, qui nous ont autorisés à le transformer assez radicalement.
Pour le traitement architectural des espaces intérieurs nous avons opté pour un parti-pris assez minimaliste et très blanc, pour mettre en valeur d’une part l’architecture existante des façades et des deux escaliers et d’autre part les livres et documents que l’on vient chercher dans une médiathèque.
Voici d’autres points de vue. Nous avons très largement ouvert les espaces. Vous voyez ici un des plateaux de la médiathèque à gauche, à droite le hall d’entrée pour lequel on a créé une double hauteur. Sur l’image de droite l’auditorium-salle polyvalente.
Ici en version auditorium fermé.
Une salle d’exposition a été conçue (elle n’était prévue dans le programme). Sur la photographie c’est une exposition dont nous avons aussi réalisé la scénographie.
Voici les deux escaliers dont je vous parlais tout à l’heure, deux escaliers à l’italienne dont les qualités étaient totalement invisibles lorsque nous avons visité le bâtiment la première fois. Il y avait du linoléum sur les marches, des enduits-gouttelettes sur l’ensemble des murs, y compris les éléments en pierre… Ça été une découverte au cours de la phase diagnostique. Nous avons aussi conservé quelques éléments de l’histoire des transformations du bâtiment comme ce sol en Opus Incertum.
Nous avons, pour les escaliers, dessiné ces luminaires qui sont également des pièges à sons. Ce sont des éléments tapissés d’absorbant et couverts d’un tissu trans-sonore (qui laisse passer le son), ce qui permet de gérer l’acoustique de ces espaces très sonores à l’origine.
Voici le bâtiment tel qu’il était le jour de notre première visite, lorsque nous avons été pré-sélectionnés pour participer à cette consultation.
Lors de la première présentation du projet, une fois notre équipe retenue, tout ce que vous venez de voir nous a été refusé ! Nos interlocuteurs – maîtrise d’ouvrage, ABF – nous on dit « Non ! ». La façade en retrait c’était non, le jardin exotique, c’était non, l’intérieur tout blanc, c’était non… Nous avons donc démarré cette opération avec, en face de nous, des gens qui disaient « votre projet, on n’en veut pas. Ça va être affreux. Ça va faire clinique. Ça dénature le bâtiment.»
Il est très important aujourd’hui de savoir raconter une histoire, de convaincre, de faire comprendre la vision que l’on a des choses… L’architecture est parfois une lutte.
Pour cette opération nous avions beaucoup d’interlocuteurs face à nous. De notre côté, nous essayons toujours de limiter le nombre de nos partenaires de maîtrise d’œuvre, de travailler avec des gens que nous connaissons bien, de constituer des équipes où la communication est simple et rapide. Cette limitation des acteurs au sein de la maitrise d’œuvre, j’en parlais tout à l’heure avec Benjamin Le Masson, tend à disparaître, puisque, de plus en plus dans les appels d’offres publics, sont demandées des équipes de maîtrise d’œuvre pléthoriques. On sectorise un peu tout et il devient difficile de monter une équipe avec de gens qui se connaissent, puisqu’on vous demande de démultiplier les expertises.
Pour cette opération, nous avons donc monté une équipe restreinte : avec l’agence, qui assurait la mission architecture, paysage et mobilier, un bureau d’études généraliste, avec lequel nous avions déjà réalisé d’autres opérations et un acousticien et un signaléticien, auquel on a recouru pour la première fois (d’habitude nous assurions la signalétique en interne). Nous avons travaillé avec l’atelier parisien de Ruedi Baur, qui a une certaine notoriété. Il a notamment réalisé la signalétique de Beaubourg. Pour tout dire, ça ne s’est pas très bien passé au début. Nous leur avions dit que nous voulions des choses extrêmement simples, que nous voulions travailler dans le « ténu ». Et leurs premières esquisses, qu’ils ont présentées directement à la maîtrise d’ouvrage sans nous les montrer en amont, remplissaient le bâtiment de pancartes, tous les vitrages du rez-de-chaussée sur jardin étaient couverts de dessins, ils avaient mis des panneaux sur toutes les façades externes, etc. Il y a donc eu un petit moment désagréable et un recadrage nécessaire.
Pour parler un peu de l’organisation de la maîtrise d’ouvrage pour ce type de projet, et certaines personnes présentes dans cette salle la connaisse bien, cet équipement dépend de la DAC, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris. Mais, dans les faits, c’est la DPA, Direction du Patrimoine et de l’Architecture, qui assure la maîtrise d’ouvrage des bâtiments publics de la Ville. Nous avions encore face à nous la DILT (Direction de l’Immobilier de la Logistique et des Transports) parce des locaux de gardiennage du site qui étaient intégrés au bâtiment. Il y avait aussi la DEVE (Direction des Espaces Verts et de l’Environnement) puisque le jardin central de la médiathèque a un statut de jardin public et qu’il dépend de cette direction.
Etaient encore concernés, puisque le bâtiment et son jardin étaient inscrits à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, le STAP (Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine, devenu aujourd’hui UDAP, qui regroupe les architectes des bâtiments de France), la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) qui prenaient les décisions sur les transformations du bâtiment et la Commission du Vieux Paris qui émet un avis sur les démolitions. Naturellement étaient aussi consultée la Préfecture de Police avec les architectes de sécurité (pour un établissement recevant du public). La Mairie centrale était bien entendu présente, sachant que c’était un des grands projets de la ville, ainsi que la Mairie du 10ème. Le Maire d’arrondissement a suivi cette opération d’assez près. Nous l’avons notamment rencontré pour une présentation publique du projet en cours d’études.
Mais surtout, cas particulier à cette opération, Il y avait la présence de Viviane Ezratty qui est la première personne à avoir suggéré de transformer ce bâtiment pour en faire une médiathèque, qui avait grandement participé à la programmation de l’équipement et qui est devenue aujourd’hui la Directrice de la médiathèque Françoise Sagan.
Elle était, à l’époque, directrice de l’Heure Joyeuse, une bibliothèque spécialisée dans l’enfance (et d’ailleurs une partie des collections de l’Heure Joyeuse est venue à Françoise Sagan). Elle a eu cette chance d’être à l’origine de l’opération, de suivre sa réalisation et d’en devenir responsable. Et si précisément, nous avons pu réaliser le projet que vous avez vu, c’est en grande partie grâce à elle. C’était important de l’avoir à nos côtés pour discuter des éléments d’un programme que nous découvrions (nous n’avions jamais réalisé de médiathèque avant celle-ci). Nous avions, comme base de travail, un programme très riche, très complet. Mais la discussion avec Viviane et son équipe, tout au long du processus, nous a permis d’avancer sereinement, aussi bien durant les études de projet que durant le chantier avec notamment les études de mobilier qui se font durant cette phase et qui nécessitent beaucoup de mises au point. Nous avons donc, d’une certaine manière, imposé la présence des utilisateurs à la maîtrise d’ouvrage, qui au départ n’en voulait pas aux réunions de mise au point du projet. C’est réellement en grande partie grâce à nos échanges réguliers avec Viviane que nous avons pu faire évoluer ce projet.
D’autre part, quand nous avons présenté le projet pour la première fois à l’ABF du 10ème arrondissement, elle a refusé en bloc tout ce que nous avons proposé. Il se trouve qu’elle avait déjà travaillé sur une partie des deux ailes du bâtiment lors d’une opération antérieure. Elle avait, avec l’architecte de ce projet, dessiné des menuiseries qui s’inspiraient des menuiseries existantes des années 30 et qui devaient, dans son esprit, être reprise sur l’ensemble des bâtiments. Alors quand nous sommes arrivés en lui disant que ses menuiseries nous les mettions à la poubelle et que nous allions faire complètement autre chose, il y a eu… un peu de tension. Nous avons demandé une réunion de concertation auprès du STAP et de la DRAC. Nous avons mené des études historiques assez poussées avec le bureau de patrimoine ATTRAPA sur la prison Saint-Lazare et sur d’autres bâtiments de même nature. A la fin de la réunion, Jean-Marc Blanchecotte, alors directeur du STAP a fini par dire : « Pour une fois qu’on peut s’amuser un peu avec un Monument Historique, allons-y ». Nous avions sauvé notre projet.
Sur cette image, voici l’état du bâtiment dans lequel nous l’avons trouvé, et qui nous permettait de penser que nous pouvions nous permettre quelques modifications. C’est le couloir distributif du bâtiment principal qui était un hôpital abandonné depuis quelques années.
Celle-ci est la première image que nous avons produite dans la phase d’étude initiale. Cette perspective, nous l’avons su par la suite, a séduit le Maire du 10ème arrondissement et a certainement participé à faire accepter le projet.
Voici une première image intérieure.
Comme je vous le disais, nous ne pouvions conserver aucun plancher et comme le programme exigeait des transformations assez importantes, le projet est assez radical.
Nous avons aussi profité de la réalisation de la reprise en sous-œuvre des façades, qui étaient instables et nécessitaient un confortement de leurs fondations, pour creuser un peu plus profondément et réaliser un niveau de sous-sol complet, pour loger des archives et les locaux techniques du bâtiment.
Voilà une image de la réalisation de la structure. Nous avons utilisé l’acier, parce que cela permettait une mise en place d’un confortement des façades avant de détruire les planchers et les refends (enfin, ce qu’il restait des refends transversaux du bâtiment). Ici la structure qui se met en place.
Là avec une mezzanine suspendue au deuxième étage.
Comme je vous le disais, nous avons donc défini le mobilier avec l’équipe de préfiguration de la médiathèque. Nous avons travaillé avec un fabriquant de mobilier en intégrant des modifications au mobilier standard des collections.
Ça a été un travail assez fin intégrant la création d’éléments de ce type, qu’on retrouve dans deux espaces de la médiathèque. Ils intègrent jusqu’au nombre précis de magazine proposé, etc.
En guise de conclusion, je voudrais vous parler d’une dernière chose. Notre pratique nous amène à travailler régulièrement sur des concours publics, et nous nous rendons compte que les choix des équipes de maîtrise d’œuvre et des projets sont de plus en plus le « fait du prince ». Vingt ans en arrière, la composition des jurys de concours étaient, nous semble-t-il, plus équilibrés et pluridisciplinaires, les professionnels de l’architecture et de l’urbanisme étaient plus écoutés lors des tours de table. De nos jours, c’est le plus souvent le responsable de la maîtrise d’ouvrage (en général un élu local), président d’un jour, qui prend la décision de manière plutôt solitaire suivi comme un seul homme par la majorité de son jury composé de ses services techniques. Cet état de fait amène quelques résultats de concours parfois étranges issus à notre sens d’un manque d’écoute et de confiance des spécialistes.
Pour finir, sous forme de petit clin d’œil, cette image présente le grand salon voisin de l’auditorium dans lequel vous êtes actuellement lors du démarrage des travaux du pavillon Carré de Baudouin. La salle était alors à usage de gymnase.
Et l’image d’à côté a été prise dans cette salle ! Merci.
Antoine Mortemard
Architecte D.P.L.G.
Antoine Mortemard est architecte libéral. Il a enseigné à l’école d’architecture de Versailles et de Paris Malaquais. Avec Stéphane Bigoni, il a notamment été chargé de la réhabilitation du Pavillon Carré de Baudouin et de la création de la médiathèque Françoise Sagan à Paris.